samedi 30 décembre 2006

Stéphane Clerget : On ne naît ni homo, ni hétéro

Médecin psychiatre et pédopsychiatre, Stéphane Clerget est à la fois chercheur et clinicien. Il travaille notamment sur la construction de l’identité sexuée chez l’enfant. Il revient pour "Illico" sur "Comment devient-on homosexuel ou hétérosexuel ?", le premier ouvrage qu’il consacre à l’homosexualité. Comment vous est venue l’idée de consacrer, à votre tour, un ouvrage à ce sujet ? Qu’apporte-t-il de nouveau ?

On trouve dans de nombreux ouvrages généralistes relatifs à la sexualité le chapitre convenu sur les "causes" ou les "origines" de l’homosexualité. Les réponses sont habituellement toutes aussi convenues. Chez les anglo-saxons, il est question du gène ou des hormones qui clôt toute réflexion. Or l’analyse des études montre qu’il n’y a pas de vérité génétique ni hormonale des préférences sexuelles. Chez nous, on en est surtout resté aux tout premiers écrits freudiens, mal interprétés de surcroît, et il est alors question pour les homos masculins de narcissisme, de perversion ou d’un excès de mère associé à une carence paternelle. Quant à l’homosexualité féminine, c’est encore plus lapidaire. D’autres part, les écrits sur le sujet prennent rapidement une dimension idéologique qui parasite la réflexion. Le simple fait que l’on questionne sur les "causes" de l’homosexualité sans se questionner sur celles de l’hétérosexualité démontre un a priori sur l’homosexualité, qui serait, sinon pathologique, du moins issue d’une déviance par rapport à un développement hétérosexuel qui irait de soi. Ce livre est, je crois, le premier à proposer un regard approfondi et synthétique sur la question en mêlant les approches psychologiques, médicales, historiques, sociologiques, ethnologiques, c’est-à-dire des points de vue complémentaires et qui se trouvent être convergents dans
l’affirmation du caractère essentiellement acquis de notre orientation
sexuelle. Il apporte aussi un regard neuf en tenant compte des recherches génétiques de ces quinze dernières années, et des avancées toutes récentes en neurobiologie. Enfin il est nourri des résultats de mes observations personnelles dans le cadre de psychanalyses d’enfants et d’adolescents. Les avancées actuelles en psychanalyse doivent beaucoup aux psychanalystes d’enfants.

Dans votre livre, vous avez choisi de convoquer de nombreuses disciplines (l’histoire, l’ethnologie, l’éthologie …) assez éloignées de la médecine, de la psychologie… Pourquoi un tel choix ? Est-ce par crainte d’enfermer votre propos dans un discours trop médical qui susciterait le rejet ?

Si une crainte était à l’origine de ce choix, ce n’était pas celle d’un hypothétique rejet mais plutôt celle que mon regard fût incomplet. Mais en effet, une approche purement médicale ou psychiatrique de l’homosexualité préjugerait de son caractère pathologique. La sexualité et l’amour chez l’homme ne sont la chasse gardée ni des médecins, ni des poètes. Ils ont leurs places dans chacun de ces champs d’études. C’est par l’ensemble des sciences humaines que l’on peut prétendre approcher de la vérité humaine. A la différence des animaux, notre sexualité est surtout dans la tête en raison de l’importance de notre néocortex. Et la dimension culturelle illustrée par l’approche historique, ethnologique ou sociologique influence la perception que chacun a de sa propre sexualité et de celle des autres, et participe à son orientation. L’environnement social et culturel donne des modèles et des voies possibles ou non, en fonction de notre apparence et de notre statut. Le regard des historiens rappelle la relativité des représentations sociales. Ainsi ai-je été surpris de découvrir qu’il a existé pendant des siècles un ancêtre de PACS au moyen age nommé le contrat d’affrèrement.

Votre ouvrage, d’entrée de jeu, affirme qu’on "ne naît pas homo mais qu’on le devient". Vous étayez cette thèse en faisant le point sur les dernières découvertes en neurobiologie ou en génétique avec des arguments qui semblent imparables. Comment expliquez-vous que de nombreux homosexuels et lesbiennes, à chaque génération, soutiennent encore la thèse que leur orientation sexuelle est innée ?

Si d'entrée de jeu j’affirme que l’on devient homo, c’est parce que je donne d’emblée le résultat de mes recherches. Je ne suis pas parti d’un a priori. J'affirme aussi, et ce n'est pas anodin, que l'on ne naît pas hétéro. Mais les réactions que j’ai recueillies autour de ce travail vont dans le sens de ce que vous dites. En effet des homos réagissent mal à l’idée du caractère acquis de leurs préférences sexuelles. Leurs parents aussi d’ailleurs qui se croient coupables d’avoir mal fait. C’est peut-être pour soutenir leurs parents que ces homosexuels défendent la thèse de l’inné. La réponse génétique a l’avantage d’être simple. Elle permet à ceux qui n’aiment pas se prendre la tête d’éviter de se poser des questions sur leur développement personnel. Homo ou hétéro que craint-on dans l’idée du caractère acquis ? Sans doute de perdre ses certitudes. L’idée qu’on aurait pu être différent réveille l’inquiétante perspective qu’on pourrait devenir quelqu’un d’autre. Et notre conscience de soi n’aime guère les jeux de miroir. Il y a des désirs qu’on a refoulés, homo ou hétéro et on n’a pas envie d’un retour du refoulé. Mais la principale raison est, je crois le jugement défavorable, quand ce n’est pas franchement hostile, qui continue d’être porté sur l’homosexualité. Et partant de là, le caractère acquis fait croire qu’il y a eu une malfaçon dans la construction de leur identité. "Revendiquer" le caractère inné est alors une façon de revendiquer dans leur construction l’absence de "faute", de "déviance" ou de "péché" au nom de quoi violence est faite à l’encontre des homos. Si l’homosexualité, comme cela le fut en d’autres cultures, n’était pas considérée de façon péjorative, peu importeraient aux personnes concernées le caractère acquis ou inné de son origine. Mais, dans mon livre, je montre que le caractère acquis de l’homosexualité n’implique pas un accident de parcours ou une déviation dans le développement. C’est acquis comme l’est par exemple le langage. Il y a différentes façons de s’exprimer aussi normales les unes que les autres. Bien sûr il existe des troubles du langage comme il y a des troubles du développement psycho-sexuel mais ils concernent autant les homos que les hétéros. Futurs homos ou hétéros nous passons tous par les mêmes stades de développement. Apprentissages, expériences, rencontres nous sont plus ou moins communes. Mais si l’on fait le même voyage, on en garde pas tous le même souvenir. Notre orientation sexuelle est la synthèse de ces souvenirs.

Votre livre, qui est respectueux des homosexuels, défend l’idée que l’homosexualité est en très grande part acquise. Or c’est justement en référence à cette idée (l’homosexualité est un choix) que de nombreux opposants aux revendications des homosexuels leur contestent le droit à une égalité sociale et juridique. Quel est votre avis et que pensez-vous de l’utilisation ainsi faite de cet argument ?

Le caractère acquis de l’homosexualité n’en fait pas un choix volontaire et conscient. On ne décide pas un beau matin de devenir homosexuel. Mais l’enfant a une part active dans ce qu’il deviendra, ne serait ce que dans ses choix d’identifications, dans ses choix de réaliser tel désir conscient ou non d’un parent, dans ses choix relationnels, dans ses renoncements aussi. Si l’orientation sexuelle est en partie la conséquence de certains de ces choix, c’est une conséquence indirecte.
Quand vous parlez des revendications a une égalité sociale et juridique, je pense que vous parlez de l’égalité de droits des couples (union civile, adoption, succession). Quand bien même l’homosexualité résulterait d’un choix volontaire et conscient. En quoi cela justifierait-il que des couples homos n’aient pas des droits équivalents aux couples hétéros. Le désir homosexuel ou le renoncement à l’hétérosexualité n’est pas synonyme du renoncement à former un couple. Devenir homosexuel est simplement le désir d’accomplir ce "nous-même" avec un autre de son sexe. De même le désir hétérosexuel ou le renoncement à l’homosexualité n’implique pas de renoncer à former des amitiés avec des personnes de son sexe. Quant au désir d’élever des enfants, il est indépendant de l’orientation sexuelle. Il n’y a pas habituellement de renoncement à la procréation ou à la parentalité dans l’origine du désir homosexuel. D’ailleurs le fantasme de procréation peut être présent dans l’inconscient de personnes de même sexe qui font l’amour.
Ce discours des "opposants" que l’on pourrait résumer par "les homos veulent le beurre et l’argent du beurre" est probablement tenu par ceux là même qui ont renoncé amèrement au cours de leur développement à des désirs homos afin de s’assurer la réalisation de leur vœu à fonder une famille. Le constat que des personnes cherchent à réaliser ces deux types de désirs (désir homos et famille) suscitent en eux l’envie, terreau de la haine.

Vous présentez très longuement les développements modernes de la psychanalyse sur la question de la sexualité et par conséquent de l’homosexualité. A tel point qu’on peut penser que cette discipline, qui n’est pas une science, a plus d’importance encore (pour expliquer que nous ne naissons pas homosexuels) que la neurobiologie, la génétique… Est-ce ce que vous pensez ? Et dans ce cas, n’y a-t-il pas un problème à privilégier ainsi une discipline qui a très largement contribué à ostraciser les homosexuels ?

Les théories neurobiologiques sont peut-être plus faciles à résumer que la psychanalyse où il faut faire davantage attention au poids des mots. Quoi qu’il en soit, l’abord neurobiologique me fait également conclure au caractère essentiellement acquis de l’homosexualité. N’oublions pas que les premiers psychanalystes se sont élevés contre le concept de dégénérescence mentale prôné depuis un siècle à propos de l’homosexualité. Freud refusait de la considérer comme une maladie ou un délit. Certes par la suite, beaucoup de psychanalystes ont remplacé la "dégénérescence" par la perversion, le trouble de personnalité voire la psychose. Pourtant la psychanalyse reste un formidable moyen de compréhension de fonctionnement humain et est surtout un outil très performant pour libérer les individus de leurs entraves psychiques. Mais c’est un art difficile et le meilleur des outils n’est capable de rien sans bon artisan. Hélas, l’épouvantable homophobie sociale et individuelle dans l’occident du XXe siècle n’a pas contaminé que les psychanalystes. Vous savez, les neurobiologistes n’ont pas été les derniers à ostraciser les homosexuels. Jusqu’au milieu du XXe siècle
les traitements hormonaux, les castrations, les lobotomies (ablation d’une partie du cerveau), les chocs électriques, les épilepsies provoquées ont été allègrement utilisés pour "guérir" les individus de leur homosexualité considérée comme la résultante d’un problème neurobiologique. Si j'ai développé davantage la partie consacrée à la psychanalyse par rapport aux autres disciplines c'est qu'il me fallait argumenter avec précision des conceptions psychanalytiques innovantes qui donnent une interprétation autre de l'homosexualité. Et qui vont en effet à contre courant avec les interprétations psychanalytiques erronées, discriminatoires ou pathologisantes qui ont été avancées jusqu'à présent.

D’après votre expérience de médecin et de thérapeute, estimez-vous qu’il est important ou non pour les gays et les lesbiennes de comprendre pourquoi ils sont homosexuels ou elles sont lesbiennes ?

Non. Sauf si eux-mêmes le considèrent. Mais pour se libérer de certaines entraves à un épanouissement personnel ou simplement par curiosité, on peut être conduit à se questionner sur soi, son fonctionnement, et donc sur son histoire personnelle et familiale. Chemin faisant, on croisera certainement alors certains fondements à nos désirs, entrelacés avec les piliers de notre personnalité. Ce peut être aussi l’occasion, pour certains, de réaliser qu’être homosexuel n’est pas une anomalie de développement. Savoir qui l’on est et comment on le devient peut nous apaiser et nous rendre plus fort. Dans les faits, beaucoup d’homos s’interrogent. Ce qui pourrait être
important en revanche c’est que les hétéros se posent au moins une fois la question sur l’origine de leur propres choix et renoncements, ne serait-ce que pour réaliser que les homos et les hétéros ont bien plus de points communs que de différences.

Dans votre conclusion, vous expliquez qu’il ne faut pas confondre l’orientation sexuelle (être homo, hétéro, bi ou autre) et l’identité sexuelle (être homme ou femme). Vous indiquez que la nomination de l’orientation sexuelle n’est rien moins qu’un "étiquetage social" amené à évoluer. Par quels moyens, peut-on le faire évoluer ? Est-il souhaitable qu’il disparaisse ?

Si j’ai en effet conclu là-dessus, c’est pour passer le relais à autrui. Je vous rétrocède donc la question. La vision de l’homosexualité varie d’une culture à une autre. Chez nous, jusqu’à il y a deux siècles, les comportements érotiques de chacun, condamnés ou non, ne conféraient pas une identité. Votre journal, des mouvements associatifs, des politiques, vos lecteurs contribuent, je crois, à faire avancer la réflexion sur la façon dont on pourrait faire évoluer cet étiquetage social afin que les personnes concernées vivent en paix avec eux-mêmes et avec les autres. Si cet étiquetage disparaissait, l’orientation sexuelle d’un individu aurait socialement autant d’importance que la couleur de ses yeux. La question qui se poserait alors serait simplement de savoir si on a envie ou non de plonger son regard dans le sien.

"Comment devient-on homosexuel ou hétérosexuel ?"


On ne naît pas homo ou hétéro, on le devient", telle est la thèse conduite par Stéphane Clerget pour qui "nos préférences sexuelles, et leurs combinaisons dans une orientation hétéro ou homosexuelle, sont le fruit d’une évolution personnelle progressive. Elles s’acquièrent." Pour autant, Stéphane Clerget qui est médecin (chercheur et clinicien) ne conteste pas qu’une part de "l’innée existe" car "en amont de notre histoire individuelle, nous avons une préhistoire, représentée par notre capital physique et génétique." Mais, rajoute l’auteur : "nos préférences sexuelles, notre identité sexuelle s’affirment, pour l’essentiel, au fil de notre évolution personnelle". L’auteur en veut pour preuve que toutes les tentatives d’expliquer l’origine de l’homosexualité par la génétique ou la biologie ont échoué. Bien que médecin, Stéphane Clerget a compris qu’il y avait danger à n’enfermer son propos que du seul point de vue médical. Aussi a-t-il pris soin de l’élargir à d’autres disciplines : histoire, sociologie, éthologie, sociobiologie, l’anthropologie, etc. C’est d’ailleurs une des grandes qualités de l’ouvrage que de proposer une approche pluridisciplinaire de cette question montrant ainsi la variété des explications possibles et la complexité d’un phénomène : la détermination de l’orientation sexuelle. Du coup, les explications psychologisantes (père absent, mère dominatrice) cèdent le pas à des affirmations plus convaincantes et innovantes. Humain dans son approche (l’auteur affiche un net respect des homosexuels), cet essai est particulièrement bien construit et bien conduit. Il laisse cependant une très (trop) grande place au discours psychanalytique dont depuis les travaux de Didier Eribon, on connaît les limites et les défauts.

Stéphane Clerget, "Comment devient-on homosexuel ou hétérosexuel ?", éditions Jean-Claude Lattès.

Parents et homosexuels : une redéfinition de l'ordre symbolique

Michel Tort, psychanalyste, et professeur à l'université Paris 7, se préoccupe depuis longtemps des questions concernant la sexualité et la parentalité. Depuis 75, il réfléchit aux rapports entre la pratique de l'analyse et ce qui se passe à l'extérieur, en lien avec l'espace social.
Dans le cadre de son intervention à l'occasion des débathèmes de l'APGL (
Association des Parents et futurs parents Gays et Lesbiens) en l'an 2000, Michel Tort entendait dénoncer les positions traditionnelles sur la question de l'homoparentalité et faire un sort à l'article très alarmiste de JP. Winter " Des enfants symboliquement modifiés " paru dans le Monde des Débats.

De cet article, une lecture critique a été faite, véritable commentaire de texte dont on a pu retenir les moments suivants :

Winter reprend au compte de la psychanalyse et au nom du respect des normes, la citation vitaliste de Shopenhauer selon lequel l'homme est appelé à vivre et se reproduire.
Mais Michel Tort rappelle qu'il n'y a pas de reproduction pour les humains. Le recours à l'espèce s'invalide du seul fait que nul homme n'a jamais fait commerce d'amour aux seules fins de perpétuer l'espèce. Au fond, il n'y a de reproduction que du point de vue de ce qu'il appelle la " pastorisation " où les hommes, pareils à des brebis, ont besoin d'être dirigés. Dans ce cadre là seulement, on est fondé à parler d'espèce, s'agissant de l'homme. Michel Tort dénonce ici l'émanation d'un biologisme spontané chrétien.

Sa critique vise un argument récurrent dans lequel on peut distinguer deux moments :

  • Il est d'abord supposé nécessaire à la santé psychique de l'enfant qu'il puisse, avant même d'accéder au langage, se représenter un couple fécond. Sans cela, comment pourra-t-on lui répondre quand il demandera comment viennent les enfants ?
  • Il est ensuite rappelé que si on ne permet pas la constitution de la différence anatomique des sexes, on est alors dans le désaveu pervers.

Ces deux moments s'articulent lorsqu'on procède sciemment à une opération qui empêche de se représenter la différence des sexes, précipitant l'enfant dans le désaveu pervers. C'est le cas de l'homoparentalité.
Or, il se trouve que cet argument repose sur deux suppositions douteuses, l'une que l'on pourrait organiser la perversion, l'autre que l'on aurait les moyens d'empêcher la représentation de la différence des sexes.
D'autre part, toujours selon Winter l'instrumentalisation du tiers par exemple témoignerait d'une exclusion qui laisserait des traces dans le psychisme de l'enfant.
Selon Michel Tort, un tel rejet de tout ce qui n'est pas conforme, et la dramatisation des effets qui en résultent, tient pour réglé un problème qui mérite pourtant qu'on s'y attarde : la vraie question n'est pas celle de la norme à maintenir comme seule salutaire mais celle de la position des sujets par rapport à l'artifice au cœur des dispositifs actuels par lesquels s'opèrent de nouvelles formes, de parentalité supposant des aménagements (par exemple l'IAD).
Il existe déjà, rappelle Michel Tort, des conceptions de parentalité élargie qui pose tout autrement le problème de l'homoparentalité.
Revenant sur le problème de l'organisation psychique d'un enfant élevé dans un contexte d'homoparentalité, Michel Tort précise qu'on n'empêche pas un enfant de fantasmer, quelle que soit la configuration conjugale.
Le fantasme est une production de l'activité psychique qui ne dépend pas d'ingrédients extérieurs. Ce n'est donc pas l'homoparentalité en tant que telle qui pourrait provoquer des troubles psychiques mais la façon dont les enfants arrivent dans les familles. Selon Michel Tort, il y a deux institutions qui fonctionnent en pervertissant les principes du fonctionnement psychique : il s'agit de l'IAD et de l'accouchement sous X qui présentent ce travers de laisser un sujet dans l'impossibilité d'accéder à ses origines. Ces dispositifs qui tentent d'imiter le naturel, de le rejoindre ne sont pas à laisser prospérer pour le sujet (sic).
Ce ne sont pas les seuls aménagements. A ceux-là, il convient de préférer des organisations moins naturelles et plus sociales. Au fond, il n'y a aucune raison pour qu'il n'y ait qu'un seul père ou qu'une seule mère. On pourrait imaginer des degrés, un partage de la parentalité sans être amené à cette partition entre le géniteur gamète et un parent social et symbolique mais il semble que nous manquions d'imagination.

Michel Tort entend dénoncer le caractère séparateur d'une psychanalyse dominée par la solution paternelle. Or, cela est bien antérieur à la psychanalyse, purement émané de l'organisation sociale historique et on peut bien s'interroger sur cette solidarité entre la psychanalyse et la société. Il y a deux sortes d'énoncés psychanalytiques :

  • ceux qui sont indépendants de l'idéologie ;
  • ceux qui sont contaminés par telle ou telle forme d'organisation familiale.

Or, si elle est ainsi assujettie aux idéologies, la psychanalyse ne peut plus analyser les fantasmes sociaux, entreprise à quoi elle doit s'appliquer et à laquelle elle est bien utile.
Selon lui, la majorité des interventions des analystes sur ces sujets ne sont pas psychanalytiques. Elles témoignent de positions systématiques et ne répondent pas aux exigences qu'en tant qu'analyste, on peut avoir par rapport à la production d'énoncés : si on raisonnait de cette façon dans la cure et l'ensemble de la théorisation, on n'obtiendrait aucun résultat. On assiste à une dérive de l'analyse quand la psychanalyse se solidarise avec l'organisation historique de la famille. Les configurations classiques n'ont pas à servir de base à l'analyse mais bien plutôt s'y prêter : dans le discours, quels sont les fantasmes qui continuent de circuler ?

Michel Tort voudra essentiellement souligner que pour un analyste, sur cette question de parentalité, il ne s'agit pas simplement de dire " voici ce qui est bon pour être parents " mais de se demander à quoi on peut servir pour l'analyse des fantasmes qui circulent dans notre société.
Dans sa diatribe contre l'école lacanienne, Michel Tort dénonce le fait de prêter au symbolique, dont la psychanalyse fait son mot d'ordre, les caractères d'un ordre justement qui serait universel, qui
échapperait à l'histoire. Le symbolique, comme le droit est aussi historique. Mais le droit, comme le symbolique, est pourvu d'un parfum d'éternité qui le fait prendre pour un ordre symbolique.
Au fond, ce qui est en question dans nos débats a une dimension proprement politique : à travers l'homoparentalité, c'est de conception qu'il s'agit, de ce que les sujets en tant que citoyens veulent comme parentalité. En ce sens, c'est normal qu'il y ait controverse. De fait, le sujet ne se poserait pas s'il n'y avait pas un certain nombre de sujets qui revendique des droits au nom de certains principes. Mais comment accepter que son souci d'être de bons parents soit divisé, c'est à dire objet d'un enjeu politique? Mais il y a aussi un risque de sacrifier l'enjeu de fond au bénéfice du souci légitime d'être ces bons parents.

Cette différence est renforcée parce qu'on oppose deux plans :

  • celui des traditionalistes catholiques, assez marginal somme toute, représenté par Anatrella, très loin de la psychanalyse. La véritable position traditionaliste est plutôt modérée, s'inspirant à la fois de la sociologie, de l'anthropologie, avec sans doute un brin d'histoire.
  • celle des identitaristes de gauche radicaux.

C'est grâce à eux si la question de la parentalité est posée et pas seulement grâce à notre être spontané d'homoparents. Ce sont eux qui nous réunissent contre l'ensemble d'un système qui manipule la référence à la différence des sexes et pose l'ordre symbolique comme un ordre universel, idéologie fondée sur la foi en un universel anthropologique.
Au contraire, faut-il considérer que l'homosexualité, le rapport au même n'est pas une négation de la différence des sexes puisqu'elle en relève : dans l'espace même de la différence des sexes, il existe l'homosexualité.

L'homoparentalité est une organisation particulière mais donc pas une négation de la différence des sexes.

Source : http://www.apgl.asso.fr/documents/dt_200003.htm