La question révèle le chemin parcouru en dix ans. Lorsqu'en France s'engageait le débat sur le pacs on ne se demandait pas si l'ouverture du mariage et de la filiation aux couples de même sexe était souhaitable mais si elle était possible : on était encore dans l'impensable. L'hétérosexualité conjugale (pudiquement appelée la "différence des sexes") semblait la nature même des choses : on parlait d'un "ordre symbolique" intemporel, ou des "fondements anthropologiques de la culture". Or le pacs n'a pas entraîné la fin du monde, mais simplement d'un monde.
Puisque nos voisins européens franchissent le pas avant nous, on ne saurait d'ailleurs parler de lois éternelles de la culture - tout au plus de notre culture "franco-française". Bref, l'impensable d'hier apparaît aujourd'hui comme un impensé. La question n'est plus la loi d'une anthropologie religieuse, mais les lois démocratiques : non plus des vérités anhistoriques, mais des valeurs politiques. Aussi les candidats prennent-ils position et du coup, surgit dans la présidentielle un clivage entre droite et gauche, impossible tant qu'on était dans l'impensable. Pourquoi ouvrir le mariage ? Au nom d'une égale liberté, quelle que soit l'orientation sexuelle. La question s'inverse donc : pourquoi ne pas l'ouvrir ? Préserver nos institutions de l'homosexualité, n'est-ce pas fonder l'homophobie en droit ? Or quelles valeurs oppose-t-on encore à l'exigence démocratique ? Le refus de Nicolas Sarkozy montre son embarras : "Je ne prétends pas que j'ai raison, ce sont des convictions très profondes que j'ai en moi." Bref, pure opinion que justifie un aveu : "Je suis né hétérosexuel". Bref, je n'y peux rien, je suis ainsi. Non plus c'est la nature, mais c'est ma nature. Politiquement, c'est un peu court.
Catherine Labrusse-Riou, professeure à l'université Paris-I :
J'y suis opposée, comme juriste et comme citoyenne. Les tribunaux appelés à statuer sur le mariage homosexuel de Bègles l'ont annulé sur le fondement du code civil et de la Convention européenne des droits de l'homme. Dans toutes les sociétés, depuis des millénaires, le mariage est un contrat destiné à sceller l'alliance de l'homme et de la femme. De plus, il n'y a pas d'injustice à exclure les homosexuels du mariage parce qu'ils sont libres de vivre en communauté de vie organisée. L'indifférenciation des sexes dans le mariage repose sur une conception abstraite de l'égalité qui ne vaut pas pour le mariage : l'égalité des époux a été acquise à partir des années 1960 mais cette révolution silencieuse suppose justement la différence des sexes. Je crois que la consécration du mariage homosexuel serait de nature, à terme, à remettre en cause la structure même du droit de la famille basée sur la différence généalogique des lignes paternelle et maternelle. La déstructuration des institutions civiles de la famille me paraît dangereuse.
En tant que citoyenne, je me demande si le mariage homosexuel est exempt de risques politiques et sociaux affectant la conception de la République. En 1792, le mariage civil a réalisé l'unité des Français malgré leurs différences religieuses : ce fut un facteur de paix sociale. Si le mariage homosexuel était consacré par la loi, les grandes religions dotées d'un droit de la famille - catholique, juive, musulmane - pourraient demander que le mariage civil ne soit plus un préalable nécessaire à la célébration religieuse. Il y a là un risque de retour de l'autorité des droits religieux et de repli communautariste.
Propos recueillis par Anne Chemin.
Article paru dans l'édition du Monde du 11.04.07.
1 commentaire:
Bonjour
J'ai lu sur ce blog:
http://coulmont.com/blog/2007/04/14/mariage-gay-et-mariage-religieux/
une analyse complémentaire et forte intéressante sur ce thème.
Et également une prise de position d'Eric Fassin suite aux déclarations de Sarkozy sur l'innéité de certaines "pathologies".
http://www.bladi.net/forum/97524-sarkozy-lart-confusion-eric-fassin/
Enregistrer un commentaire