Article paru dans Le Monde du 13/07/2007
Quelle est la situation des recherches sur l'homosexualité ? Deux excellentes publications, auxquelles ont participé quelques-uns des meilleurs spécialistes du moment, français et étrangers, établissent un état des lieux en même temps qu'elles dessinent, exemples à l'appui, les nouveaux contours des « études gaies et lesbiennes ».Un constat, d'abord : aujourd'hui encore, la plupart des travaux sur l'homosexualité dans les sciences sociales sont publiés aux Etats-Unis, où les Gay and Lesbian Studies ont droit de cité dans plusieurs grandes universités depuis une vingtaine d'années. En France, il a fallu attendre la fin des années 1990 pour que le monde académique commence à reconnaître la légitimité d'un domaine de recherche en plein essor, ce dont témoignent les colloques, les séminaires et les entreprises éditoriales de qualité qui se sont multipliés au cours des dix dernières années.
Selon Laure Murat, l'une des contributrices du collectif publié par les éditions Epel, ce retard français résulte d'une triple résistance. Politique, d'abord, « l'universalisme à la française s'étant toujours méfié de ce qui touchait aux communautés, terme implicitement assimilé à un communautarisme contraire à l'idéal républicain ». Résistance intellectuelle, ensuite, de la part d'une université rétive à bâtir des programmes résolument transdisciplinaires à l'image des « studies » à l'américaine, où collaborent sociologues, philosophes, psychanalystes, juristes, historiens et spécialistes de littérature. Méfiance lancinante, enfin, vis-à-vis d'un objet longtemps promu par des militants de la « cause » homosexuelle et, dès lors, dévalorisé d'un point de vue scientifique.
Signe, malgré tout, du processus de légitimation en cours, la publication d'un dossier sur l'histoire des homosexualités dans la prestigieuse Revue d'histoire moderne et contemporaine, dirigée par Daniel Roche et Pierre Milza. Coordinatrice de ce numéro, Florence Tamagne y dresse un bilan historiographique dans lequel apparaissent quelques tropismes : une prédominance des études sur l'homosexualité masculine, un intérêt persistant pour l'histoire des deux derniers siècles, et enfin une concentration des recherches sur quelques pays, essentiellement l'Allemagne, la Grande-Bretagne, les Etats-Unis et la France.
Les problématiques actuellement en vogue, dont les articles réunis dans ces deux volumes donnent un aperçu, pourraient pallier certains de ces déséquilibres. Tandis que se multiplient les travaux sur le lesbianisme, de plus en plus de chercheurs s'intéressent aux « subcultures » homosexuelles, à travers l'étude des sociabilités, des pratiques culturelles et des mouvements associatifs. Sur le plan conceptuel, enfin, la vogue de la théorie « queer », qui appelle à une déconstruction de la notion de genre et des identités sexuelles, stimule les recherches sur le travestissement et le transsexualisme tout en confortant une exigence : celle d'une nécessaire historicisation de la notion même d'homosexualité, une catégorie normative délicate à utiliser pour l'époque précontemporaine, ce que montrent les études, encore rares, consacrées à l'Antiquité et au Moyen Age.
Thomas Wieder.
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