mercredi 14 juin 2006

Sur le discours ecclésiastique (M. de Certeau, s.j.)

Le discours ecclésiastique maintient la fiction de principes communs en ce qui concerne l'avortement, la justice, l'homosexualité, etc., et il occulte son rapport aux pratiques, à leurs conditions de production ou à leur dissémination. A vouloir se conserver intact, le discours officiel manifeste seulement son indifférence pour la pratique dont il prétend parler, et son rôle de protection verbale dans une institution menacée. Ce psittacisme théorique a d'ailleurs aussi des conséquences graves dans la pratique politique. Ainsi devant la Junte chilienne, comme hier au Brésil, dans la France occupée ou dans l'Allemagne nazie. Faute d'une réflexion qui puisse articuler un enseignement de la foi sur des situations et des options effectives, donc privés d'une doctrine relative à des (et à leurs) conduites réelles, les épiscopats ont à leur portée, par exemple avec le principe éculé de la soumission au pouvoir établi, de quoi justifier tous les compromis, quitte à aider en sous-main les victimes du gouvernement qu'ils reconnaissent officiellement. Entre le public et le privé, leurs pratiques sont contradictoires et molles, camouflées derrière un décor de principes périmés. Aussi les militants savent-ils désormais ce qu'ils ont à attendre des "directives" épiscopales ou ecclésiales. Il leur faut opter, à leurs risques et périls. Du moins peuvent-ils s'inspirer, comme d'une "fable" dont l'interprétation concrète leur est finalement laissée, de cette tradition évangélique où il est parlé de la foi en l'autre.

Source : Michel de Certeau, Le christianisme éclaté, Paris, Seuil, 1974, pp. 56-57.

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