jeudi 26 janvier 2006

Affectivité et eucharistie

Conférence du frère Timothy Radcliffe, o.p., ancien Maître de l'Ordre des Prêcheurs

Je ne suis pas sûr du sens du mot espagnol afectividad. L’anglais affectivity se réfère non seule­ment à notre faculté d'aimer, mais aussi à la façon dont nous aimons, nous, êtres physiques et sexués, sujets à l'émotion et à la passion. Dans le christianisme, nous parlons beaucoup de l'amour, mais il arrive que cet amour apparaisse quelque peu abstrait, hors de la réalité. Et pourtant il nous faut aimer tels que nous sommes, sexués, pleins de désirs, d'émotions fortes, ayant besoin de toucher et d'être proches les uns des autres.

Que nous soyons si mauvais quand il s'agit de parler sur ce sujet est étrange, car le christianisme est la plus charnelle de toutes les religions. Nous croyons que Dieu a créé ces corps, et il les a trou­vés très bien ; Dieu est venu corporellement parmi nous, être humain comme nous ; Jésus nous a donné le sacrement de son corps et il a promis de ressusciter nos corps. Et donc nous devrions nous sentir chez nous dans notre nature corporelle avec ses passions et à l'aise quand il s'agit de parler de l'affectivité ! Mais bien souvent, quand l'Église en parle, les gens restent scep­tiques. Nous ne faisons guère autorité quand nous parlons de sexe ! Dieu s'est peut-être incarné en Jésus-Christ, mais nous, nous en sommes encore à apprendre à nous incarner dans notre corps. Il nous faut redescendre sur terre !

Un jour que saint Jean Chrysostome était en train de prêcher sur le sexe [1], il remarqua que des auditeurs rougissaient, ce qui le remplit d'indigna­tion : Pourquoi rougissez-vous ? N'est-ce pas pur ? Vous vous comportez en hérétiques. Penser qu'il faut ignorer le sexe est un manquement à la véritable chasteté, et selon personne de moins que saint Thomas d'Aquin [2], c'est un manque­ment moral ! C'est un peu comme avec ces êtres sexués et passionnés (quelquefois un peu perdus) qu'il nous faut apprendre à aimer. Autrement nous n'aurons rien à dire sur Dieu qui est amour.

Je voudrais parler de la Dernière Cène et de la sexualité. Cela paraît peut-être bizarre, mais réflé­chissez un instant. Les paroles centrales de la Dernière Cène sont Ceci est mon corps, et je vous le donne. L'Eucharistie, comme le sexe, est centrée sur le don du corps. Avez-vous jamais remarqué que la première épître aux Corinthiens tourne autour de deux sujets, la sexualité et l'Eucharistie ? Et cela parce que Paul sait qu'il nous faut comprendre l'un à la lumière de l'autre. Nous comprenons l'Eucharistie à la lumière de la sexua­lité, et la sexualité à la lumière de l'Eucharistie.

Notre société a de la peine à le comprendre, parce que nous avons tendance à considérer notre corps comme un objet en notre possession. L’autre jour, j'ai vu un livre sur le corps humain intitulé L’Homme: tous modèles, toutes formes, toutes dimen­sions, toutes couleurs. Manuel de l'utilisateur (Éditions Haynes). C'est un manuel de la catégo­rie de ceux qu'on vous donne quand vous ache­tez une voiture ou une machine à laver. Si vous pensez à votre corps de ce point de vue, comme à un objet important parmi d'autres, alors les actes sexuels n'ont pas spécialement de sens. Cela se produit de façon dramatique à l'adoles­cence, et cela peut se produire tout au long de la vie, quand on est marié ou que l'on est religieux ou prêtre. Il arrive souvent qu'une telle crise se présente cinq ou six ans après un engagement dans le mariage ou le sacerdoce. Il nous faut faire face.

Jésus aurait pu s'échapper par une porte déro­bée et s'enfuir. Il aurait pu rejeter les disciples pour n'avoir plus rien à faire avec eux. Mais non. Il a accueilli ce moment dans la foi. Et nous ne pour­rons aider les jeunes à le faire que si nous avons nous-mêmes connu de tels moments et nous y sommes confrontés. Cela a été mon cas ! Je me souviens que quelques années après mon ordina­tion, je suis tombé très amoureux. Pour la première fois je rencontrais une personne que j'au­rais épousée avec bonheur et qui m'aurait épousé avec bonheur. C'était le moment du choix. J'avais fait ma profession solennelle avec joie. J'aimais mes frères et sœurs dominicains. J'aimais la mission de l'Ordre. Mais tout en faisant profession j'avais une petite bulle interrogative dans la tête : « Qu'est-ce que ça me ferait d'être marié ? ».

À ce moment-là, il me fallait accepter le choix fait lors de ma profession solennelle. Ou, plus exactement, il me fallait accepter le choix que Dieu avait fait pour moi, que c'était là la vie à la­quelle il m'appelait. Ce furent des moments pénibles, mais ce furent également des moments de bonheur. J'étais heureux parce que j'aimais cette personne, et depuis nous sommes restés de très bons amis. Ce fut aussi un moment de bonheur parce que j'étais libéré des fantasmes que j'avais gardés au moment de ma profession solennelle. Je revenais doucement sur terre. Mon cœur et mon esprit devaient s'incarner en ma personne tel que je suis, dans la vie que Dieu avait choisie pour moi, dans cette chair et dans ce sang. La crise me remit les pieds sur terre.

Pour la plupart d'entre nous, cela ne se produit pas seulement une fois. Nous pouvons passer par plusieurs crises d'affectivité au long de notre vie. Je l'ai fait, et qui sait ce qui va encore se présen­ter ? Mais il nous faut les affronter, comme Jésus le fit à la Dernière Cène, avec courage et confiance. Alors, nous pénétrerons doucement dans le monde réel de notre chair et de notre sang.

Un bénédictin irlandais, Mark Patrick Heder­man, a écrit : L’amour est la seule force suffisam­ment impétueuse pour nous obliger à quitter l'abri confortable de notre individualisme bien retran­ché, à sortir de la coquille imprenable de notre autosuffisance, à nous glisser à visage découvert dans la zone de danger, ce creuset où un individua­lisme se purifie et devient une personnalité [3]. Et si vous n'accordez pas créance à un bénédictin irlandais, vous en croirez certainement saint Thomas d'Aquin : Celui qui aime doit par consé­quent traverser cette frontière qui le confinait dans ses propres limitations. C'est pourquoi on dit de l'amour qu'il fait fondre le cœur : ce qui est fondu n'est plus restreint dans ses propres limites, tout au contraire de ce qu'est la dureté du cœur [4]. Il n'y a que l'amour qui brise la dureté de notre cœur et nous donne un cœur de chair.

S'ouvrir à l'amour est très dangereux. On en sera probablement blessé. La Dernière Cène est le récit du risque qu'il y a à aimer. C'est pourquoi Jésus est mort : parce qu'il a aimé. Et c'est particu­liè­rement dangereux pour un prêtre ou un religieux. On y réveille des passions et désirs extraordinai­rement profonds et troublants ; on peut être en danger de perdre sa vocation ou de mener une vie double. La grâce sera nécessaire si on veut surmonter ces périls. Mais ne pas s'ouvrir à l'amour est encore plus dange­reux : c'est un risque mortel. Écoutez ce que dit C.S. Lewis : Le seul fait d'aimer rend vulnérable. Aimez quoi que ce soit, et votre cœur en sera déchiré, et peut-être brisé. Si vous voulez être sûr de le garder intact, ne donnez votre cœur à personne, pas même à un animal. Enve­loppez-le soigneusement dans des bagatelles et des fanfreluches ; évitez tout engage­ment ; mettez-le bien en sûreté dans un coffret ou dans ce cercueil que fabrique votre égoïsme. Mais dans ce coffret sûr, sombre, immobile, étanche, il se transformera. Il ne se brisera pas ; il va devenir inflexible, impénétrable, intouchable. La seule possi­bilité, à votre choix, autre que la tragédie, ou au moins que le risque de tragédie, c'est la damnation. Le seul endroit, en dehors du ciel, où vous serez parfaitement protégé de tous les dangers et de toutes les vicissitudes de l'amour, c'est l'enfer [5].

Quand nous célébrons l'Eucharistie, nous nous souvenons que le sang du Christ est versé pour vous et pour tous. En son sens le plus profond, le mystère de l'amour est à la fois individuel et universel. Si notre amour est juste individuel, il risque de se limiter à être introverti et étouffant. Si c'est juste un vague amour de l'humanité entière, il risque de devenir vide et vain. La tentation d'un couple pourrait être d'avoir un amour qui soit intense mais fermé et exclusif ; souvent, la seule chose qui pourrait alors lui épargner la destruction c'est l'arrivée d'une tierce personne, l'enfant, qui élargit leur amour. La tentation des célibataires pourrait être un amour simplement universel, un vague amour chaleureux de l'humanité. Dans La maison d’Apre-Vent, Dickens nous rapporte com­ment madame Jellyby était dotée d'une philanthropie télescopique, parce qu'elle ne pouvait rien voir qui fût plus proche que l'Afrique. [6] Elle aimait l'Afrique en général, mais ne remarquait même pas l'exis­tence de ses propres enfants.

Ceux d'entre nous qui sommes religieux ne peuvent pas se réfugier dans une telle philanthropie télescopique. S'approcher du mystère de l'amour voudra dire aussi que nous aimons des personnes, parfois d'amitié, parfois d'une profonde affection. Il nous faut apprendre à intégrer ces amours dans notre identité de religieux. Il paraît qu'autrefois on mettait souvent en garde les religieux contre « les amitiés particulières ». Notre vénérable Gervase Mathew b (c) a toujours dit qu'il craignait bien davan­tage les « inimitiés particulières » !

Bède Jarret était Supérieur provincial des domi­nicains d'Angleterre dans les années 30. Il écrivit une lettre splendide à un jeune bénédictin, Hubert van Zeller, qui allait après la guerre devenir célèbre par ses écrits de spiritualité. Ce jeune moine était tombé amoureux d'une personne que nous ne connaissons que sous son initiale P. C'était une terrible épreuve. Il craignait que ce ne soit la fin de sa vocation religieuse ; Bède vit que c'en était le commencement. Je vais vous le citer longuement. On est étonné quand on se souvient que cela fut écrit il a soixante-dix ans.

Je suis heureux [que vous soyez tombé amou­reux de P] parce que je crois que la tentation à laquelle vous avez toujours été exposé était du puri­tanisme, une étroitesse, une certaine inhumanité. Votre tendance a toujours été le refus de respecter la matière. Vous aviez l'amour du Seigneur, mais vous n'aviez pas vraiment l'amour de l'Incarnation. En réalité vous aviez peur. Vous pensiez (je vous impute ici toutes sortes de défauts sans preuve) que, si vous vous relâchiez, vous alliez vous désintégrer. Vous étiez plein d'inhibitions. Elles ont failli vous tuer ; elles ont failli tuer votre humanité. Vous aviez peur de la vie parce que vous vouliez être un saint et parce que vous saviez que vous êtes un artiste. L’artiste en vous voyait de la beauté partout ; le saint de désir disait "Mais ça c'est terriblement dange­reux" ; le novice en vous disait "Ferme bien les yeux". Et le Claude [son prénom de baptême] a bien failli voler en éclats. Si P n'était pas entrée dans votre vie, vous auriez pu voler en éclats. Je crois que P vous sauvera la vie. Je vais dire une messe d'ac­tion de grâces pour ce que P a été, et a fait, pour vous. Il y a longtemps que vous aviez besoin de P Des tantes ne sont pas des solutions. Pas plus que de vieux provinciaux bedonnants [7].

Je ne veux pas dire que nous devrions tous nous précipiter vers la porte de sortie pour trouver quel­qu'un à aimer ! Dieu nous envoie les amours et les amitiés qui font partie du chemin que nous parcou­rons vers lui, qui est la plénitude de l'amour. Nous sommes dans l'attente de qui Dieu envoie, et quand, et comment. Mais quand ils arrivent, alors nous devons avoir le courage de saisir le moment, comme le fit Jésus à la Dernière Cène.

Quand nous le ferons, il faudra que nous apprenions à être chastes. Tous, célibataires, mariés, religieux, nous sommes tous appelés à la chasteté. Ce mot n'est pas très populaire de nos jours. Il résonne aux oreilles comme étant prude, froid, distant, à demi mort, sans intérêt. Herbert McCabe, o.p., a écrit que la chasteté qui n'est pas une manifestation de l'amour n'est que le cadavre de la vraie chasteté [8]. Le cadavre d'un chien ressemble à un chien. On peut même se tromper et croire que c'est un chien qui dort tranquillement. Mais ce n'est pas un chien, c'est juste un ex-chien. De la même façon, quelqu'un qui est célibataire mais qui n'aime pas peut ressembler à quelqu'un qui est chaste, mais il est mort.

Alors, que signifie donc être chaste ? La chas­teté ne consiste pas d'abord dans la suppression du désir, au moins selon la tradition de saint Thomas d'Aquin. Le désir et les passions contiennent des vérités profondes sur ce que nous sommes et ce qui nous est nécessaire. Les étouffer ne ferait que nous tuer spirituellement, ou bien, un jour, nous faire dérailler. Nous devons éduquer nos désirs, ouvrir les yeux sur leur objet réel, les dégager des plaisirs mesquins. Nous devons désirer avec davantage de profondeur et davantage de clarté.

Saint Thomas a écrit quelque chose qu'il serait facile de mal interpréter. Il dit que la chasteté consiste à vivre selon l'ordre de la raison [9]. Cela semble bien froid et cérébral, comme si être chaste résidait entièrement dans le pouvoir de l'esprit. Mais, par ratio, Thomas voulait dire vivre dans le monde réel, selon la vérité des choses réelles[10]. Cela veut dire vivre dans la réalité de ce que je suis et de ce que sont réellement les gens que j'aime. La passion et le désir peuvent nous entraîner à vivre dans l'imaginaire, tandis que la chasteté nous ramène sur terre, à voir les choses telles qu'elles sont. Pour un religieux, ou quelque­fois pour des célibataires, peut naître la tentation de se réfugier dans le fantasme pernicieux que nous sommes des êtres angéliques éthérés qui n'ont rien à voir avec le sexe. Cela ressemble à de la chasteté, mais c'en est une perversion. Ça me rappelle l'his­toire d'un de mes Frères qui allait dire la messe dans un couvent de religieuses. La sœur qui ouvrit la porte le regarda et dit : « Ah, c'est vous, Père ! Je croyais que c'était un homme ».

On pourrait difficilement imaginer célébration de l'amour qui soit plus terre à terre que la Dernière Cène. Rien de romantique en elle : Jésus dit claire­ment à ses disciples que la fin est prochaine, que l'un d'entre eux l'a trahi, que Pierre va le renier, que les autres vont s'enfuir. Ce n'est pas du tout un gentil petit dîner aux chandelles dans une trattoria. C'est d'un extrême réalisme. Un amour eucha­ristique nous met franchement et carrément en face des désordres de l'amour, de ses échecs, et de sa victoire ultime.

Dans quels fantasmes le désir peut-il nous piéger ? J'en distingue deux. Le premier est la tenta­tion de croire que l'autre personne est tout, tout ce que nous cherchons, tout ce qui répond à nos aspi­rations. C'est une obsession. Le second est ne pas réussir à voir l'humanité de l'autre personne, de la réduire à servir à la satisfaction de nos impulsions. C'est de la concupiscence. Ces illusions ne sont pas aussi différentes l'une de l'autre qu'elles ne le sembleraient de prime abord. Chacune est le reflet de l'autre.

Je suppose que nous avons tous connu de ces moments d'obsession, quand quelqu'un devient l'objet de tous nos désirs, le symbole de tout ce que nous avons jamais désiré, la réponse à tous nos besoins. Si nous ne nous unissons pas intimement avec cette personne, notre vie est frappée de vacuité et perd toute signification. L’objet de notre amour remplit ce puits profond de besoins que nous découvrons en nous. Nous y pensons toute la jour­née. Comme Shakespeare l'a si bien exprimé : Et voici que le jour mes membres, la nuit mon esprit, Pour toi, et pour moi, ne trouvent point de repos [11].

Ou bien, pour être un peu plus moderne, le visage de la personne aimée est comme l'économiseur d'écran de notre ordinateur. Au moment où l'on arrête de penser à quelque chose d'autre, le voilà. C'est comme une prison, un esclavage, mais un esclavage auquel nous ne désirons pas échap­per. Nous divinisons la personne aimée, la mettons à la place de Dieu. Évidemment, ce que nous adorons c'est notre création à nous. C'est une projection. Peut-être tout amour passe-t-il par ce stage d'obsession insensée. Le seul remède est de vivre avec la personne jour après jour, et découvrir qu'elle n'est pas Dieu, mais seulement son enfant. L’amour commence lorsque nous sommes guéris de cette illusion et nous trouvons face à face avec une personne réelle et non pas une projection de nos désirs. Comme le dit Octavio Paz : L’amour révèle la réalité au désir [12].

Car que recherchons-nous dans tout cela ? Qu'est-ce qui provoque cette obsession ? Je ne peux parler qu'en mon nom personnel, mais je dirais alors que ce qui a toujours été derrière mes occa­sionnels troubles émotionnels était un désir d'inti­mité. C'est le désir d'être entièrement un, de faire disparaître les frontières entre moi et une autre personne, de me perdre dans une autre personne, d'aboutir à une communion pure et totale. Plutôt qu'une passion sexuelle, je pense que c'est une inti­mité que recherchent la plupart des êtres humains. S'il nous faut passer par des crises d'affectivité, il nous faut reconnaître notre besoin d'intimité.

Notre société est construite autour du mythe de l'union sexuelle comme couronnement de toute intimité. C'est ce moment de tendresse et d'union physique complète qui crée l'intimité totale et la communion absolue. Bien des humains ignorent cette intimité parce qu'ils ne sont pas mariés ou que leur mariage n'est pas heureux, ou bien parce qu'ils sont prêtres ou religieux. Et nous pouvons nous sentir injustement frustrés dans ce qui est notre besoin le plus profond. Cela semble arbitraire ! Comment Dieu peut-il me priver de la satisfaction de ce profond désir ?

Je pense que tout être humain, marié ou céliba­taire, religieux ou laïc, doit apprendre à s'accom­moder des limites de l'intimité auxquelles il est confronté. Le rêve d'une communion totale est un mythe qui porte certains religieux à désirer d'être mariés, et certaines personnes mariées à désirer d'être mariées à quelqu'un d'autre. Il est certain qu'une intimité ne peut être heureuse que si nous en acceptons les limites. Nous pouvons projeter sur des couples mariés une intimité magnifique et totale, mais qui en réalité est impossible et n'est que la projection de nos rêves. Rilke a compris qu'il ne pouvait y avoir d'authentique intimité dans un couple sans que chacun y reconnaisse que l'autre, d'une certaine façon, reste solitaire. Tout être humain garde une part de solitude autour de lui qui ne peut être abolie. Un bon mariage est celui dans lequel chacun fait de l'autre le gardien de sa solitude et lui accorde cette confiance, la plus grande qu'il soit possible de montrer (...). Une fois qu'on a compris et accepté que, même entre les êtres humains les plus proches, continuent à exis­ter des distances infinies, peut se développer une merveilleuse vie côte à côte, s'ils arrivent à aimer la distance entre eux qui donne à chacun la possi­bilité de voir l'autre en entier sur un vaste arrière-plan céleste [13].

Personne ne peut nous apporter la satisfaction totale de ce que nous désirons. Cela ne se trouve qu'en Dieu. Rowan Williams, marié et archevêque de Cantorbéry, écrit : Un être humain devient adulte et fidèle lorsqu'il prend conscience de l'incurabilité de son désir : le monde est tel que rien ne donnera à la personne une identité sans faille et accomplie [14]. Ou bien, pour citer Jean Vanier : La solitude fait partie de l'être humain, parce qu'il n'y a rien dans l'existence qui puisse satisfaire complètement les besoins du cœur humain [15].

Pour ceux qui sont mariés, une merveilleuse intimité est possible une fois qu'on a accepté d'être le gardien de la solitude de l'autre, dit Rilke ; et pour ceux d'entre nous qui ne sont pas mariés ou qui sont engagés dans le célibat, il est possible également de découvrir une profonde et merveilleuse intimité avec d'autres. Le mot intimité vient du latin intimare, qui signifie "être en rapport avec ce qui est le plus profond dans une autre personne". Parce que je suis religieux, mon vœu de chasteté me donne la possibilité d'être incroyable­ment intime avec les autres. Parce que je n'ai pas d'agenda secret et que mon amour ne saurait être dévorant ni possessif, je peux m'approcher très près du centre de la vie des gens.

Le piège opposé à l'obsession ne consiste pas à mettre l'autre personne à la place de Dieu, mais à en faire un simple objet, quelque chose qui puisse satisfaire les besoins sexuels. La concupiscence nous ferme les yeux sur l'autre en tant que personne, sur sa fragilité et sur ses qualités. Saint Thomas, écrivant sur la chasteté, dit que le lion, quand il voit la biche, voit un repas, et que la concupiscence fait de nous des chasseurs, des prédateurs voyant ce qu'ils peuvent dévorer. Ce que nous voulons, c'est un morceau de chair, quelque chose à dévorer. Ici encore, la chasteté consistera à vivre dans le monde réel. La chasteté nous ouvre les yeux et nous fait voir que ce qui est devant nous est, oui, c'est vrai, un beau corps, mais que ce corps est quelqu'un. Ce corps n'est pas un objet, mais un sujet. Je vais à nouveau citer Hederman : Le vœu de chasteté empêche les pieds du chasseur de faire ce qu'ils feraient naturellement : poser des pièges aux autres et s'en approcher en prédateur [16]. Ce qui a été si terrible dans ces histoires d'abus sexuels est que souvent il y avait eu préparation savamment calculée.

On pourrait croire que la concupiscence est une passion sexuelle non maîtrisée, un désir sexuel débridé. Mais saint Augustin, qui s'y connaissait dans la question, estimait que la concupiscence est un désir de domination du prochain davantage que de plaisir sexuel. La concupiscence relève de la libido dominandi, le désir de domination qui nous transformerait en Dieu. La concupiscence concerne davantage la puissance qu'elle ne concerne le sexe. Comme l'écrit Sébastien Moore, la concupiscence n'est pas une passion sexuelle qui échappe au contrôle de la volonté, mais une passion sexuelle qui prend la place de la volonté de Dieu (...). La tâche qui nous revient n'est pas de soumettre la passion sexuelle à la volonté, mais de lui restituer sa nature de désir qui trouve son origine et sa fin en Dieu, et dont la libération s'opère par la grâce de Dieu manifestée dans la vie, l'enseignement, la crucifixion et la résurrection de Jésus-Christ [17].

Pour surmonter la concupiscence, la première étape n'est pas l'abolition du désir, mais sa réhabi­litation, sa libération, la redécouverte qu'il concerne non pas un objet mais une personne. Tant de tristes scandales d'abus sexuels sur mineurs viennent de prêtres ou de religieux incapables de gérer leurs relations d'adultes avec leurs égaux ! Ils ne pouvaient rechercher de relations que là où ils avaient pouvoir et autorité. Il leur fallait, eux, rester invulnérables. À la dernière Cène, Jésus prit du pain et le donna à ses disciples en disant : Ceci est mon corps livré pour vous. Il se livre. Au lieu de se les asservir, il se livre à eux pour faire ce qu'ils veulent. Et nous savons ce qu'ils en feront. Voilà l'immense vulnérabilité de l'amour.

La concupiscence et l'obsession peuvent sembler bien différentes, et pourtant chacune est le reflet exact de l'autre. Dans l'obsession, on fait un Dieu de l'autre personne, et dans la concupiscence on fait un Dieu de soi-même. Dans un cas, on se rend totalement impuissant, et dans l'autre on prétend au pouvoir absolu. Rowan Williams écrit que l'amour hésite entre l'égoïsme et l'abnégation de soi [18]. Il nous donne un sentiment intense de nous-mêmes, et en même temps il nous fait disparaître du champ de conscience. Peut-être bien que la concupiscence apparaît quand l'égoïsme prend le dessus, et l'obsession quand l'abnégation de soi fait perdre tout sens d'identité.

Ainsi la chasteté consiste-t-elle à vivre dans le monde réel, à voir l'autre tel qu'il (ou elle) est, et moi-même tel que je suis. Ils ne sont ni divins ni simplement une masse de chair. Nous sommes tous les deux enfants de Dieu. Nous avons une histoire. Nous avons fait des vœux et des promesses. L’autre a des engagements, peut-être comme partenaire ou conjoint. Nous autres, prêtres ou religieux, nous nous sommes donnés à notre Ordre et à notre diocèse. C'est comme tels, pris et liés par divers engagements, que nous pouvons apprendre à aimer d'un cœur ouvert et les yeux ouverts.

Cela est difficile parce que nous vivons dans le monde de l'internet. C'est un univers de réalité virtuelle où on peut vivre dans des mondes imagi­naires comme s'ils étaient réels. Nous vivons dans une culture qui distingue difficilement l'imaginaire de la réalité. Tout est possible dans le cyber­monde. C'est pourquoi la chasteté est difficile : elle est un effort pour voir la réalité.

Comment pouvons-nous alors redescendre sur terre ? Je signalerais trois étapes. Il faut que nous apprenions à ouvrir les yeux et à voir les visages de ceux qui sont devant nous. Combien de fois regardons-nous vraiment les visages des gens tels qu'ils sont ? Brian Pierce, un dominicain améri­cain, est en train d'écrire un livre où il compare la pensée de Maître Eckhart, le mystique dominicain du XIVe siècle, et celle de Thich Nhat Hanh, un Bouddhiste du XXe. Pour tous les deux, le commencement de la vie contemplative se situe au moment présent, en ce que les Boud­dhistes appellent « la conscience ». Seul le moment présent est réel. C'est en ce moment que je vis, et par conséquent c'est en ce moment que je peux rencontrer Dieu. Il faut que j'acquière la sérénité de cesser de m'inquiéter pour le passé et pour l'avenir. Maintenant est le moment où commence l'éternité. Eckhart demande : « L'aujourd'hui, qu'est-ce que c'est ? ». Et il répond : « L’éternité ».

À la Dernière Cène, Jésus a saisi le moment présent. Au lieu de s'inquiéter de ce que Judas avait fait ou de l'approche des soldats, il vécut le moment présent, prit le pain, le rompit et le donna à ses disciples en disant : Ceci est mon corps donné pour vous. Chacune des Eucharisties nous plonge dans ce maintenant éternel. C'est en ce moment que je peux être présent à une autre personne, serein et tranquille en sa présence. Je suis si occupé, courant de droite et de gauche, pensant à ce qui va se passer ensuite, que je ne suis pas capable de voir le visage en face de moi, d'en voir la beauté et les blessures, d'en voir la joie et les souffrances. Ainsi donc, la chasteté comporte l'ou­verture de mes yeux !

Ensuite, je peux apprendre l'art d'être seul. Je ne peux pas être heureux avec les autres à moins de pouvoir être seul parfois. La solitude me terrifie, alors je saisis les autres non pas parce que je me plais avec eux, mais comme une solution à mon problème. Je considère les autres comme un moyen de remplir ma vacuité, ma terrible solitude. Je ne pourrai donc pas me réjouir avec eux pour leur propre bien. Et donc, quand on est présent avec une autre personne, il s'agit d'être vraiment présent, et, quand on est seul, il s'agit d'apprendre à aimer la solitude. Autrement, quand on est avec une autre personne, on s'y agrippe jusqu'à l'étouffer !

Enfin, toute société vit avec son histoire. Notre société a ses histoires traditionnelles. Ce sont souvent des histoires romantiques : un garçon rencontre une fille (ou bien quelquefois un garçon rencontre un garçon), ils s'éprennent l'un de l'autre et vivent heureux longtemps. C'est une belle histoire qui arrive souvent. Mais si nous croyons que c'est là la seule histoire possible, nous vivrons avec des possibilités trop restreintes. Il faut que notre imagination se nourrisse d'autres histoires, qui nous parlent des façons de vivre et d'aimer. Nous devons déployer devant les jeunes la vaste diversité des façons dont on peut rencon­trer l'amour et lui donner sens. C'est pourquoi les vies des saints étaient si importantes. Elles nous montraient qu'il y a bien des façons de vivre héroïquement, en étant marié ou célibataire, en étant religieux ou laïc. Une autobiographie m'a beaucoup touché : celle de Nelson Mandela, The Long Road to Freedom. Voilà un homme qui consacre toute sa vie à la cause de la justice et à la défaite de l'apartheid, et cela signifie qu'il n'a pas la vie dans le mariage qu'il désirait tellement, qu'il désira pendant des années de prison.

Ainsi donc, le premier pas vers la chasteté c'est de descendre sur terre. Je vais rapidement mention­ner les deux autres.

Le second, très sommairement, consiste à ouvrir notre amour, de sorte qu'il ne reste pas un petit monde privé où trouver refuge. L’amour de Jésus est dévoilé quand il prend le pain, et il le rompt pour qu'il puisse être partagé. Lorsque nous découvrons l'amour, nous ne devons pas le garder dans un petit placard privé pour un plaisir personnel, comme une bouteille de whisky conservée en cachette en vue d'une consomma­tion solitaire. Il faut l'ouvrir aux autres, le leur faire partager et les en faire profiter. Il nous faut partager nos amours avec nos amis, et nos amis avec ceux que nous aimons. C'est ainsi qu'un amour particulier devient universel.

Par-dessus tout, dans tout amour nous pouvons ouvrir l'espace à Dieu pour qu'il y demeure. Dans tout amour particulier peut vivre le mystère même de l'amour, qui est Dieu. Quand nous aimons quel­qu'un profondément, Dieu est déjà présent, si seulement nous savons l'y voir. Plutôt que de consi­dérer nos amours comme étant en concurrence avec Dieu, soyons conscients qu'ils lui laissent de la place où il peut dresser sa tente. Comme le disait Bède Jarrett à Hubert van Zeller, si vous pensiez que la seule chose à faire soit de vous retirer dans votre coquille, vous ne verriez jamais combien Dieu est aimable. Vous devez aimer P et chercher Dieu en P (...). Appréciez votre amitié, payez-en le prix par votre souffrance, souvenez-vous-en dans votre messe, et qu'il y soit la tierce personne. L’ouverture de l’Amitié spirituelle par ÆIred de Rievaulx c est : "Nous voici, toi et moi, et j'espère qu'entre nous deux le Christ est le troisième". N'est-ce pas magnifique ? Si vous fuyez l'amour, vous ne saurez jamais combien Dieu est aimable ; mais si vous ne laissez pas Dieu entrer dans cet amour et ne lui en faites pas les honneurs, alors vous ne connaîtrez pas non plus le mystère de cet amour. Si nous sépa­rons notre amour de Dieu et notre amour des personnes, les deux se rempliront d'amertume et deviendront malsains. C'est cela que signifie « mener une double vie ».

La troisième étape, peut-être la plus difficile, est que notre amour doit libérer les personnes. Tout amour, qu'il soit celui de gens mariés ou celui de célibataires, doit être libérateur. L’amour d'un époux et d'une épouse doit ouvrir de grands espaces de liberté, et, pour ceux d'entre nous qui sont prêtres ou religieux, c'est encore plus vrai. Nous devons aimer les personnes de façon qu'elles soient libres d'aimer les autres plus que nous. Saint Augustin appelle l'évêque l'ami du marié, l'amicus sponsi. En anglais, lors d'un mariage, nous parlons du best man (garçon d'honneur). Le « meilleur homme » n'essaie pas de s'attirer l'amour de la mariée, et même pas celui des demoiselles d'honneur ! Il dirige vers un autre.

Un dominicain français a un jour comparé Dieu à un gentleman anglais qui est si immensément discret qu'il ne désire aucunement s'imposer aux gens qu'il aime. Il passe la tête dans l'entrebâille­ment de la porte pour s'assurer que tout va bien dans leurs marques d'affection, et puis, même s'il aimerait bien rester, disparaît pour les laisser seul à seul. C.S. Lewis l'exprime autrement : C'est un des privilèges divins d'être toujours moins l'aimé que l'amant [19]. Dieu est toujours celui qui aime davantage qu'il n'est aimé. Ce peut aussi être notre vocation. Comme l'écrit Auden : Si une égale affection ne peut être, Que je sois le plus aimant [20].

Cela suppose de faire en sorte de ne pas occu­per le centre de la vie des autres et en faire nos dépendants. Il faut toujours nous efforcer de leur apporter d'autres soutiens, d'autres réconforts, de sorte que nous devenions moins importants pour eux. Ce qui veut dire que la question peut toujours êtes ainsi posée : mon amour rend-il cette personne plus forte, plus indépendante, ou bien la rend-elle plus faible, plus dépendante de moi ?

Cela suffit ! Je dois m'arrêter, après une dernière réflexion, cependant. Apprendre à aimer est une entreprise dangereuse. Nous ne savons pas où elle peut nous mener. Nous allons découvrir un boule­versement de notre vie. Il nous arrivera certaine­ment quelquefois d'être blessé. Avoir un cœur de pierre serait plus facile que d'avoir un cœur de chair, mais dans ce cas nous serions mort ! Mort, nous ne pouvons pas parler du Dieu de vie. Mais comment vivre cette mort et cette résurrection ?

À chaque Eucharistie, nous nous souvenons que Jésus a répandu son sang pour le pardon des péchés. Cela ne veut pas dire qu'il lui fallait apai­ser un Dieu en colère ; cela ne veut même pas dire seulement que si nous fautons il suffit d'aller nous confesser et d'être pardonné. Ça veut dire cela, mais bien davantage encore. Ça veut dire que, au milieu de toutes nos luttes pour être des personnes vivantes et aimantes, Dieu est avec nous. La grâce de Dieu est avec nous dans les moments d'échecs et de trouble, pour nous aider à nous remettre sur pieds. Tout comme, le Dimanche de Pâques, Dieu changea le Vendredi saint en un jour de bénédic­tion, nous pouvons avoir confiance que tous nos efforts pour aimer porteront des fruits. Il n'y a donc pas de raison d'avoir peur ! Nous pouvons nous lancer dans cette aventure vers l'inconnu avec confiance et courage.



[1] 12e homélie sur l'épître aux Colossiens.

[2] II.II. 142.1

[3] Mark Patrick Hederman, Manikon Eros. Crazy Love (Dublin 2000), p. 66.

[4] Commentaire des sentences III, 25,1,1,4 m.

[5] Clive Staples Lewis, penseur et apologiste britannique, 1898-1963. The Four Loves (Londres, 1960), p. 111.

[6] Titre original : Bleak House.

b Anthony Gervase Mathew (1905-1976), dominicain, professeur d'his­toire à Oxford pendant 40 ans, et archéologue au Kenya.

[7] Letters of Bede Jarrett (éd. de Downside Abbey, 1989), p. 180.

[8] Law, Love and Language, p. 22.

[9] 11,11,151.1

[10] Josef Pieper, The Four Cardinal Virtues (éd. Notre Dame University, 1966), p. 156.

[11] Sonnet XXVII.

[12] Octavio Paz : poète mexicain (prix Nobel de littérature en 1990), 1914-1998. Cité par Hederman, op. cit., p. 87.

[13] Rainer Maria Rilke : poète de langue allemande, 1875-1926. Cité par Hederman, op. cit., p. 87.

[14] Lost Icons, p. 153.

[15] Accueillir notre humanité, Presses de la Renaissance, 1999.

[16] Hederman, op. cit., 96.

[17] Sébastian Moore: bénédictin contemporain anglais. Cité par Hederman, op. cit., p. 105.

[18] Lost Icons, p. 156.

c Ælred, abbé cistercien de Rievaulx, dans le nord de l'Angleterre (1109-1167).

[19] Lewis, op. cit., p. 184.

[20] Wystan Hugh Auden, poète mystique anglais (converti adulte à l'anglicanisme), 1907-1973. Collectée! Shorter Poems (London, 1966), p. 282.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Tout cela est magnifique de vérité. Je souscris à 100%! Il me faudrait lire et relire cela régulièrement pour le vivre. C'est tellement bien écrit, c'est une véritable aide, mais maintenant, il faut continuer, il faut faire le grand saut de l'amour inconditionnel. C'est difficile...prions!
Merci!

Anonyme a dit…

J'ai l'impression que ceci est tiré d'un livre publié par le P. Radcliffe et non un résumé de sa plus récente conférence, ou me trompé-je?... Quoi qu'il en soit, nonobstant l'approche très humaine il est vrai, le fond reste, il me semble, extrêmement traditionnel... Quand le père Timothy dit que l'amour eucharistique de Jésus consiste à se donner aux autres et ajoute "on sait ce que les autres vont en faire" en cette veille du Vendredi Saint, on est à cent lieues d'une conception laxiste de l'engagement affectif, en ce sens que la Croix n'est nullement éludée, et les réflexions étendues sur la chasteté et de la concupiscence vont dans le même sens. Vrai, cette fidélité à la tradition chrétienne est le contraire d'un spiritualisme désincarné - grâces en soient rendues au bon vieux gros Thomas d'Aquin abondamment cité. Bref, malgré une présentation moderne du message, le messager est-il réellement compris dans son désir d'être entendu?