samedi 14 janvier 2006

"Pour un nouveau discours chrétien : Sexualité et eucharistie"

Résumé de la conférence du fr. Timothy Radcliffe, o.p. , au colloque sur "Les chrétiens et la sexualité au temps du sida" organisé par l'association Chrétiens & Sida et le CRIPS Ile-de-France, le 14 février 2005.

Plutôt que de partir de la loi naturelle pour fonder un nouveau discours ecclésial sur l'éthique sexuelle, le fr. Timothy propose de partir d'un autre lieu : le repas de la dernière Cène au cours duquel Jésus dit : "Ceci est mon corps livré pour vous".
Au coeur du christianisme, il y a le don d'un corps ; de même, la sexualité est aussi le don d'un corps à un autre. Eucharistie et sexualité peuvent donc s'aider mutuellement à se comprendre.
[Ndr : il a déjà un peu développé ce thème dans "Le corps électrique", chapitre 5 de son dernier livre Pourquoi donc être chrétien ?, aux éditions du Cerf].

Que peut no
us apprendre le repas de la dernière Cène sur notre sexualité ?

Dans l'Histoire occidentale, nous avons connu une dépréciation du corps au profit de l'âme et de l'esprit, ce qui n'est pas le cas dans la Bible, et en particulier avec Jésus.
Quand Jésus dit : "Ceci est mon corps...", il reconnaît le corps humain comme fondement de toute communication. C'est parce que nous sommes corporels que nous pouvons communiquer. Le corps humain est profondément communicatif.

Par ailleurs, tout être vivant doit manger : pour les animaux, cela peut faire partie du vivre-ensemble qui crée des liens. Pour les humains, manger ensemble signifie une communion profonde, une communauté de vie.
De même, pour les relations sexuelles : pour les humains, c'est un acte de communication très profonde qui passe par la contemplation du visage de l'être aimé, par le baiser, etc. qui sont autant d'expressions de cette communication en profondeur.

Or, la première question dans la démarche éthique est : "Que dit ce que je fais ?" Ainsi, quand Jésus donne son corps, il donne un signe qui parle. Mais, que veut dire pour Jésus "donner son corps" ?
Si nous croyons que notre corps est quelque chose que nous possédons, que nous pouvons en faire ce que l'on veut, alors nous avons une éthique sexuelle fondée sur le droit à la propriété, qui peut s'étendre pour le mari jusque sur le corps de sa femme.
En revanche, pour Jésus, "donner son corps" signifie de la façn la plus profonde ce qu'est un corps, c'est-à-dire un don de Dieu de chaque instant.
Nos relations sexuelles doivent donc être l'expression de ce don et l'apprentissage à recevoir le corps de l'autre comme un don.
Malheureusement, il est possible d'avoir des relations sexuelles autorisées par l'Eglise, sans qu'il y ait pour autant ce don des corps.

Le repas de la dernière Cène peut-il fonder une éthique chrétienne sexuelle ?

Jésus donne son corps à un moment où la communication va être bafouée :

1) Mensonge : à la Cène, il y a effondrement du langage. Judas trahit Jésus ; Pierre va mentir trois fois ; Jésus reste pour une bonne part silencieux : fin du langage.
De mauvais comportements sexuels peuvent reposer sur le mensonge : cf. David et Bethsabée avec la femme d'Urie.
Une éthique sexuelle suppose de dire la vérité avec nos corps et de dépasser les mensonges pour trouver les mots qui guérissent.

2) Oppression : Jésus fut victime de la force des puissants et des soldats.
De mauvais comportements sexuels peuvent reposer sur la violence : cf. encore David et Bethsabée.
Une éthique sexuelle suppose la réciprocité et l'égalité : le désir doit être réciproque, le plaisir aussi. Dans la relation sexuelle, je ne suis plus en charge de ce que je suis, mon corps est tourné vers le bonheur de l'autre ; alors, mon corps est aimé aussi par l'autre.

3) Blessure : Jésus est blessé dans son corps, crucifié.
Nos relations sexuelles sont souvent l'écho des relations sociales.
Des relations sexuelles justes ont aussi une dimension politique.

4) Trahison : Judas livre son ami pour qu'il meurt. Mais Jésus transforme sa trahison en un don.
Au coeur d'une éthique sexuelle, il y a la fidélité, comme cadre pour se donner l'un à l'autre. Mais la fidélité sexuelle est un risque, celui de la création d'un espace où peut abonder la grâce, car on s'engage à ne pas se dérober face à ce que l'autre découvre de nous.

5) la Mort : c'est l'ultime ennemi de la communication. Face à la mort, Jésus offre son corps ; face à la mort, Jésus nous donne quelque chose à faire : "faites ceci en mémoire de moi".
Quand nous offrons notre corps, quel sens cela peut-il prendre par rapport à la mort ?
En effet,
il y a un lien profond entre la sexualité et la mort. Aujourd'hui, avec le sida, donner la vie peut donner la mort.
Or, une éthique sexuelle se doit d'offrir une espérance : "L'amour est fort comme la mort" (Ct 8).

Conclusion :

Raisonner à partir de ce qui est permis ou défendu, c'est manquer le coeur de l'éthique sexuelle. Pour autant, les règles sont utiles et nécessaires, mais elles devraient jaillir
de la beauté et du sens de la sexualité qui n'est pas seulement faite pour la procréation.

Le repas de la dernière Cène donne une signification riche de la sexualité : donner son corps est un acte de communication ; faire l'amour est le don profond de ce que nous sommes.
Mais Jésus n'a pas seulement fait don de son corps, il a posé un acte d'espérance.
La tendresse est le sacrement de cette espérance, tout particulièrement vis-àvis des personnes malades.

Pour arriver à une nouvelle éthique sexuelle dans l'Eglise, celle-ci doit maintenant écouter ce que les homosexuels vivent dans cette Eglise, elle doit écouter leur expérience de prière, de générosité, etc. L'autorité de l'expérience (ce que les gens vivent) doit être reliée à l'autorité de la raison et de la Tradition.

P.-S. : ce résumé, qui n'engage que moi, a été fait à partir des notes que j'ai prises ; il est donc partiel, et des éléments mériteraient sans doute d'être mieux précisés ou exprimés, mais j'espère qu'ils ne déforment pas trop la pensée du fr. Timothy.


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